Art

Nina Childress, L'éclosion permanente

La peinture comme vocation, l’image comme une évidence. Malgré cela, à travers son chemin créatif, Nina Childress dévoile tout ce que « fabriquer un tableau » suppose d’exploration, d’arbitrages, d’acceptation, et d’élan. Rencontre avec l’une des deux premières femmes artistes peintres nommées à l’Académie des Beaux-Arts.


Interview

D’aussi loin que vous vous en souvenez, avez-vous toujours été attirée par un parcours dans l’univers artistique ?

Au cours de mon enfance j’étais entourée de peintres du coté de mes grand-parents. Parallèlement à cela, lorsque nous vivions à New York, mes parents, qui ne sont pas artistes eux-mêmes, ont noué des relations avec certaines personnalités telles que Jeanne-Claude et Christo. Mon père, mathématicien, a notamment collaboré avec ce dernier pour l’une de ses installations. Cela dit, j’ai d’abord commencé mon cursus par une formation scientifique, avant d’intégrer l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs puis les Beaux-Arts. Très vite le dessin, puis la peinture sont devenus mes moyens d’expression… Comme beaucoup de jeunes gens à cet âge-là, à ceci près que j’avais une certaine obstination !

Quel a été votre cheminement en tant qu’artiste pour faire évoluer votre œuvre au fil des années ?

Chaque peintre a ses recettes, son savoir-faire, sa manière de fabriquer un tableau. Il y a la technique, mais également le sujet, puis la manière de le traiter. Absolument tout ce qui caractérise l’œuvre plastiquement est la résultante d’une successions de choix, qui évoluent avec le temps. Pour cela on parle souvent de périodes avec les peintres. Techniquement d’abord, j’ai beaucoup exploré et j’ai une fascination pour les pigments modernes, qui ne sont pas faciles à dompter mais j’aime ce challenge ! J’ai progressivement intégré à mes œuvres les couleurs fluorescentes notamment, mais surtout les pigments phosphorescents qui emmagasinent la lumière et révèlent l’œuvre dans l’obscurité. L’interaction créée avec le public qui devient acteur est ici très intéressante.

Dans le choix des sujets également, vos tableaux témoignent d’un cheminement.

Tout à fait ! La fin des années 80 était marquée par un rejet de la peinture narrative au profit de l’abstrait, du conceptuel. Dans cette veine-là, j’ai d’abord banni l’humain de mes tableaux. Un jour, j’ai été amenée à peindre des chevelures, j’ai trouvé cela fascinant, et me suis alors autorisée à évoluer, portant principalement mon attention sur les femmes que je trouve plus intéressantes à travailler au niveau des corps, des vêtements, des coiffures. Plus tard, j’ai commencé à peindre des personnes célèbres, ce qui demande un travail précis sur les visages pour atteindre la ressemblance.

Vous parlez beaucoup de votre progression comme une manière de vous décensurer vous-même, comme si c’était une maïeutique.

Ça l’est, beaucoup d’étapes ont consisté à m’autoriser des choses, pour finalement explorer vraiment. Quand on est un jeune artiste on se dit qu’il faut trouver un style, une patte, pour être facilement identifiable. J’ai donc commencé à travailler des séries, les flous, puis des objets… Et au fil du temps, avec la maturité, on abandonne cette quête, on s’en sent libérée. On a la sensation que ce qu’on fait nous ressemble et c’est agréable. C’est même devenu pour moi un postulat moral : éviter la production de masse, tout ce qui marche dans une logique commerciale. Parallèlement et paradoxalement, je deviens plus exigeante sur mon œuvre, dans une perpétuelle autocritique. C’est en cela que la peinture est merveilleuse : ce n’est jamais fini.

Vous avez été élue à l’académie des Beaux-Arts, nommée Chevalier de la légion d’honneur, que signifie pour vous cette reconnaissance ?

Je suis très surprise, recevoir les honneurs institutionnels était assez inattendu. Avec Tania Mouraud nous sommes les premières femmes artistes peintres à être nommées à l’Académie, donc c’est un rôle que j’accepte pour montrer aux jeunes filles que c’est possible pour tous et toutes.

Est-ce que cette notion d’exemplarité ne va pas vous mener vers une nouvelle autocensure ?

Certainement pas ! Je compte bien partager mes folles idées et instiller quelques petites choses à travers les missions de l’Académie qui remet des bourses, des prix… Je pense par exemple que je prêterai une attention toute particulière à des dossiers moins convenus, moins « académiques ».

Où retrouver Nina Childress ?

  • Glowing Heads, L’Alliance, New York, du 3 septembre 2024 au 5 janvier 2025
  • Future is now, Le Parvis, Tarbes jusqu’au 5 octobre 2024
  • Beaubadugly, une autre histoire de la peinture, MIAM, Sète, jusqu’au 10 mars 2025 Curateurs : Hervé Di Rosa, Jean–Baptiste Carobolante, Nina Childress, Colette Barbier
  • La haute note jaune, Fondation Vincent Van Gogh, Arles, Du 3 octobre 2024 au 30 mars 2025 Curatrice : Bice Curiger

Triptyque Onéguine, 2006, huile sur toile, 195 x 374 cm, collection FRAC Nouvelle Aquitaine MÉCA © Nina Childress, adagp 2024, photo: Philippe Chancel

Article du 25/09/2024

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